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2 mai, 20

Articles d'experts

De l'événement au fait

La conversion de García Morente. Prêtre, philosophe, théologien et traducteur espagnol. Tel devait être le scénario dans lequel Manuel García Morente a vécu, même si la désolation était plus grande dans son esprit.

Un jour, j'étais dans un parking à Paris avec ma famille, heureux d'avoir trouvé une place de stationnement, une entreprise quelque peu difficile et coûteuse en termes de temps et d'argent. Alors que nous partions, de la musique classique était diffusée par le système de sonorisation. Les ondes de Radio France Classique m'ont fait ralentir mes pas vers la sortie, car je n'avais jamais rien entendu de tel dans un tel endroit. Les notes m'ont confirmé que Paris est une grande capitale de la musique, et en même temps j'ai pensé au grand pouvoir de la musique, capable d'éclairer, voire de transformer, des situations apparemment anodines.

Avec ou sans connaissances musicales, une écoute classique peut avoir la qualité de suggérer à l'auditeur les choses les plus disparates. À cet égard, je rappelle que le philosophe Manuel García Morente, exilé à Paris pendant la guerre civile, a vécu une expérience religieuse qui a été précédée d'une audition musicale. La musique était l'événement et sa perception de la présence de Dieu constituait ce qu'il a appelé un "événement extraordinaire".

Frontière triste

Peu avant minuit le mercredi 29 avril 1937, une nuit où la lune était encore pleine, García Morente se trouvait au huitième étage d'une maison au 126 Boulevard Sérurier. Si quelqu'un s'imaginait que cet endroit était un cadre parisien idéal pour le printemps, il se tromperait complètement. Un de mes bons amis, un journaliste qui vit dans la capitale française depuis des années, connaît l'endroit. Un lieu qui n'est pas le noyau central de Paris, mais qui n'est pas non plus un quartier résidentiel de banlieue. Mon ami le décrit comme un no man's land, d'une tristesse désespérée. Cette description d'une triste frontière peut être bien comprise par quiconque a lu Louis Ferdinand Céline, connu pour son roman sévère Voyage au bout de la nuit, et a publié une suite en 1936, La mort à crédit, Un autre récit autobiographique, qui se déroule dans des quartiers et des boulevards où des gens modestes, incapables de s'adapter au progrès technique et vivant dans l'endettement et la misère, tentent de survivre. Pour eux, vivre équivaut à une mort à crédit.

Tel devait être le scénario dans lequel Manuel García Morente a vécu, même si la désolation était plus grande dans son esprit. Il ne trouve pas de travail à Paris, mais une maison d'édition lui commande la rédaction d'un dictionnaire, et peu après, il reçoit une offre inattendue de l'Argentine : une chaire de philosophie à l'université de Tucumán. Cependant, le professeur était préoccupé par un autre souci : faire sortir sa femme, ses filles et ses petits-enfants de la zone républicaine. Il dit lui-même que son colocataire était parti pour quelques jours et qu'il était resté seul. García Morente fumait et buvait du café en permanence, en proie à sa nervosité, et ne pouvait pas dormir. Sa seule fenêtre sur le monde, au sens symbolique et réel, était sa chambre. De là, il pouvait voir la colline de Montmartre, à quatre kilomètres en ligne droite, couronnée depuis une vingtaine d'années par les coupoles de la basilique du Sacré Cœur.

Les événements récents, notamment ceux susceptibles d'améliorer sa situation économique, avaient éveillé chez le philosophe la question de savoir s'ils étaient le fruit du hasard ou s'ils devaient être attribués à la divine Providence. García Morente avait perdu sa foi dès son entrée dans l'adolescence. La lecture et la solitude y sont pour beaucoup. Le Dieu horloger, qui abandonne le monde à son sort, est le dieu de l'agnostique. Ce prestigieux professeur, formé à la pédagogie de l'Institución Libre de Enseñanza, avait-il quelque chose à se mettre sous la dent ? S'il s'était vraiment occupé de son gagne-pain, devrait-il maintenant lui demander d'aider sa famille à quitter l'Espagne ?

Manuel Garcia Morente 1

Manuel García Morente (Arjonilla, 22 avril 1886-Madrid, 7 décembre 1942)

Musique

Submergé par son malaise, García Morente allume la radio. Dans une lettre adressée à son ami Monseigneur José María García Lahiguera, dans laquelle il raconte son expérience spirituelle cette nuit-là, il mentionne les trois morceaux de musique qu'il a pu écouter. Il a eu le temps de savourer les dernières mesures de la Symphonie en ré de César Franck, qui ont été suivis d'une courte pièce, le Pavana pour une Infante décédée de Maurice Ravel, un chef-d'œuvre de l'impressionnisme, une musique lente pour piano avec une sonorité lointaine, qui rappelait à son auteur l'Infante dans les Ménines de Velázquez. Elle ne prétend pas l'être, mais c'est une œuvre de recueillement religieux.

Mais la grande œuvre que García Morente allait écouter ce soir-là était L'enfance du Christ d'Hector Berlioz, un oratorio avec des textes du compositeur lui-même. Il n'est certes pas indispensable, mais je conseillerais à certains d'en écouter tout ou partie, car il dure plus d'une heure et demie, et de se mettre ainsi pour quelques instants à la place du philosophe. Il a été particulièrement frappé par la figure du récitant ténor qui raconte une histoire divisée en trois parties, évoquant le rêve d'Hérode qui le remplit d'angoisse de peur d'être détrôné par un enfant né à Bethléem, la fuite de la Sainte Famille en Égypte et leur repos paisible dans une oasis du désert, et l'arrivée des fugitifs dans la ville de Saïs dans le delta du Nil. Là, ils sont rejetés par les Romains et les Égyptiens, jusqu'à ce qu'ils soient finalement recueillis par un charpentier ismaélite, car les descendants d'Ismaël sont aussi des enfants d'Abraham. L'œuvre se termine par l'intervention du récitant et d'un chœur qui recommande aux fidèles de se remplir "d'amour grave et pur, le seul pont qui ouvre la demeure céleste".

L'enfance du Christ a déclenché dans l'esprit du philosophe toute une succession d'images, évocatrices d'autres passages de l'Évangile, auxquelles il n'avait probablement pas pensé depuis son enfance : Le pardon de la femme adultère, les pieds de Jésus lavés par le pécheur, Jésus attaché au pilier, les femmes au pied de la croix... Après la représentation, García Morente éteint la radio et fixe son regard sur Montmartre, le mont des martyrs, et ce regard évoque en lui une foule immense d'hommes, de femmes et d'enfants attirés par les bras du Crucifié qui se tendent pour atteindre tout le monde. Il a senti que ce Dieu était le vrai Dieu, le Dieu vivant, la divine Providence, qui avait maintenant fait irruption dans sa vie. Il s'est agenouillé et a prié un Notre Père, remettant sa vie entre les mains de ce Dieu providentiel avec ses mains blessées.

Les mots sont pauvres pour exprimer ce que Manuel García Morente a vécu par la suite. Mais dans l'ensemble, exprime quelque chose dans son témoignage. Il était pétrifié, car dans cette pièce ont fait l'expérience de la présence de Dieu. Il ne l'a pas vu physiquement, mais s'est senti immobile et hypnotisé par sa présence. Il avoue avoir ressenti cette sensation pendant environ une heure. Enfin, son esprit a été rempli de joie. Ce n'est pas une coïncidence si Blaise Pascal a vécu une expérience similaire à Paris dans la nuit du 23 novembre 1654. Cette nuit-là, il a cru que Dieu était le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et non le dieu des philosophes, et il a été rempli d'une joie indescriptible.

Antonio R. Rubio Plo
Diplômé en histoire et en droit
Écrivain et analyste international
@blogculturayfe / @arubioplo

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